homélie des saints Pierre et Paul, 29 juin 2014

Pierre et Paul{joomplu:166} ont donné leur vie pour le Christ à Rome dans les années 60. Le pape François a rappellé récemment que les persécutions contre les chrétiens sont aujourd’hui encore plus fortes que durant les premiers siècles de l’Église et qu’il y a plus de chrétiens martyrs que durant cette époque lointaine, tandis que « persistent les discriminations envers ceux qui professent publiquement leur foi »1.

Est-ce que cela arrive souvent qu’un chrétien persécuté pour sa foi soit libéré de prison par un ange ? Au lendemain de la première persécution de l’histoire, qui verra la mort de l’apôtre Jacques, nous voyons Pierre délivré par l’ange du Seigneur (Ac 12, 1-11). Mais ce n’était pas une libération de confort. Quelques années auparavant, au jardin des Oliviers, Pierre avait voulu prendre la défense de Jésus qui lui dira  : rentre ton épée, ne sais-tu pas que je pourrais disposer de douze légions d’anges de la part de mon Père (Mt 26,53) ? Jésus s’était alors laissé livrer, il s’était offert lui-même pour réaliser la réconciliation de chaque homme avec le Père. Dans la prison de Jérusalem, Pierre semble prêt à perdre sa vie — nulle trace de panique dans son attitude — mais ce n’est pas le moment. Il lui faut encore rendre abondamment témoignage par sa parole et par ses gestes. Jésus n’avait il pas dit que nos cheveux sont tous comptés, que nous n’avons pas à craindre ceux qui nous veulent du mal ? Pierre a encore une longue mission devant lui pour témoigner de Jésus.

Saint Paul aussi atteste que le Seigneur l’a assisté bien des fois quand tous l’abandonnaient (2Tm 4, 6-8.16-18). Mais après avoir témoigné de bien des façons en faveur du Christ, après avoir laissé le Seigneur fonder sur eux son Église, Pierre et Paul rendront le témoignage suprême, par le don de leur vie à cause de leur foi. Alors il n’y aura plus d’ange pour les assister, sinon pour les aider à aller jusqu’au bout dans leur témoignage — « martyr » veut dire « témoin ».

Notre foi se fonde sur le témoignage des apôtres, et nous sommes assurés de la fiabilité de leur parole par le fait qu’ils sont allés jusqu’à renoncer à leur vie à cause de ce qu’ils enseignaient. Maintenant, l’Église poursuit ce témoignage rendu au Christ, comme elle le fait depuis le commencement. C’est pour cela qu’elle existe d’ailleurs, et c’est pour cela qu’elle souffre.

De nos jours, la foi semble si difficile à transmettre. L’Église se heurte au monde moderne, et elle n’est pas seule dans le cas  : toutes les religions souffrent de cette confrontation à un monde où « Dieu ne compte pas, même s’il existait »2. Dans l’islam cela se traduit notamment par un intégrisme violent, comme pour refuser cette modernité si menaçante. Les chrétiens ont tendance à souffrir en silence, mais dans plusieurs pays leur vie est en danger et ailleurs ils souffrent de voir leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs amis se désintéresser de ce qui est pour eux si important dans la vie  : Dieu.

Pour remédier à la difficulté du témoignage de l’Église envers le monde moderne et spécialement les jeunes, certains ont proposé de « moderniser » l’Église catholique. N’est-il pas vrai que si enfin dans l’Église on acceptait d’ordonner des hommes mariés et des femmes, si on devenait plus libéral en matière de morale sexuelle ou autre, l’Église pourrait être plus percutante dans notre monde ?

Nous avons la chance que notre monde est aussi un vaste laboratoire, et que cette façon de vivre dans l’Église a déjà été expérimentée par beaucoup d’Églises protestantes. Nous voyons pourtant que ces Églises ont autant — et même plus — de mal à proposer la foi. Ainsi, les pays du nord de l’Europe, en majorité protestants, sont ceux où la jeunesse a le moins d’intérêt pour les questions religieuses. La Suède présente la pratique religieuse la plus basse du continent. C’est au Danemark que les gens estiment le moins que les Églises apportent une réponse aux besoins moraux, sociaux et familiaux (Actualité des religions, déc. 2002). Tandis qu’en Pologne, huit jeunes sur dix affirment qu’ils continueront à vivre selon la foi transmise par leurs parents. seulement un jeune allemand sur cinq marche dans les sillons spirituels tracés par ses parents.

On le voit bien, le chemin par lequel l’Église catholique peut espérer mieux rendre témoignage au Christ n’est pas un chemin d’accommodements. Si elle doit changer, c’est pour dire plus clairement l’amour de Dieu et son appel à la sainteté. Pour rendre témoignage comme Pierre et Paul, cherchons à avoir le même cœur brûlant qu’ils ont eu pour Jésus. Et ce cœur brûlant, nous l’obtiendrons en faisant du Seigneur le sujet le plus important de chacune de nos journées. Ce n’est pas assez de faire de notre foi un « plus », un « supplément d’âme ». C’est au centre de chacune de nos journées que nous devons mettre la personne du Christ. Alors, tout en offrant sans amertume la souffrance de voir nos proches s’éloigner du Christ, nous pourrons espérer que le témoignage de l’Église redevienne percutant et intéressant pour les jeunes générations. Alors nous serons acteur d’un renouveau de l’humanité où toute vie sera reconnue à sa valeur intrinsèque et pas pour ses performances. Alors l’amour ne sera plus calculé ni mesuré par d’autres impératifs, il sera donné sans limite et nous vivrons vraiment à l’image de Dieu.


1Pape François, allocution au congrès sur la liberté religieuse, Rome, 20 juin 2014.

2Joseph Ratzinger, Le sel de la terre, p.207