homélie du jour des défunts
Hier{joomplu:32} nous regardions les saints vivre dans le paradis. Aujourd’hui nous prions pour les défunts. L’Église le fait depuis l’antiquité. Si nous prions pour eux c’est qu’il risque de leur manquer quelque chose. Que leur manque-t-il ? Hier je vous disais que Dieu appelle à la vie. Quelle est cette vie ? Est-ce le paradis comme la possession de ce qui me fait envie ? Pour les uns un paradis technologique, pour les autres un paradis sensuel, pour d’autres encore un paradis gastronomique, etc. ? Dans l’assouvissement de nos envies, nous avons déjà tous fait l’expérience qu’une fois que c’est passé nous restons insatisfaits ; il traîne alors en nous une impression triste qui dit : « ah, ce n’était que ça ? »
Le seul contenu vraiment inépuisable pour une vie belle se trouve dans l’amour, l’amour qui n’est pas autosatisfaction mais qui pousse à se donner tout entier à quelqu’un qui se donne tout entier. Je ne parle pas spécialement de relation physique mais de tout amour où on s’engage vraiment envers quelqu’un, homme ou Dieu. C’est un amour fondé sur l’émerveillement et l’ouverture de soi à l’autre. Voilà le cadre de la vie éternelle et ce vers quoi tend l’enseignement de Jésus.
Que se passe-t-il si quelqu’un est inadapté à cette vie en raison de ses choix sur la terre ? Que se passe-t-il s’il a vécu tourné vers sa satisfaction immédiate, s’il était enclin à utiliser les autres pour son bonheur, à mépriser le pauvre, à ne penser qu’à lui ? On peut se retrouver très peu généreux, et très myope sur l’amour que l’on pourrait donner et la beauté de chaque être à aimer. Ceci d’autant plus que nous sommes dans un monde qui est loin de Dieu, non pas à cause de tel ou tel péché, mais parce qu’il nous centre sur notre satisfaction immédiate, et nous pousse plus qu’avant à la revendication, à râler quand nous n’avons pas ce que nous voulons, à mettre les autres à notre service, même si c’est de façon consentante. La culture occidentale rend particulièrement grossiers et peu spirituels notre regard et notre désir.
Nous pouvons compter sur la miséricorde de Dieu, qui ne veut pas nous tenir rigueur de nos mauvaises actions. Le Christ a donné sa vie pour que nous soyons libérés de la mort et du péché. Mais Dieu qui nous a créés libre ne veut pas vouloir à notre place. Une purification est nécessaire pour tout ce que le péché a déformé dans notre cœur, une purification en terme de regard et en terme de désir, pour entrer dans la vie.
Cette purification, on l’a comparée depuis saint Paul (1 Co 3,15) à un feu, un feu qui purifie, un feu « purgatoire ». Elle est comme quelque chose qui nous brûle à l’intérieur, ou — d’après les visions de sainte Thérèse d’Avila — comme un vide, un désarroi qui réoriente la capacité de faire attention à l’essentiel. Ce feu, ce vide se ressentent fortement, à cause de l’attrait puissant exercé par Dieu qu’on sent encore hors de portée. Dieu est tellement beau, Dieu et son monde sont tellement désirables que se sentir décalé est très pénible.
C’est pourquoi nous prions pour les âmes du purgatoire, afin que leur chemin soit facilité. Et nous leur donnons aussi d’aimer, de se consacrer au bonheur des autres en demandant leur prière. Il faut demander aux morts de prier pour nous. Cela les libère autant que nous. Et puis, il n’y a qu’une seule issue à tout cela : la joie du ciel, la vie débordante où on aura enfin tout le temps d’aimer.