homélie du 1er dimanche de carême, 22 février 2015
L’histoire du{joomplu:251} déluge (Gn 9, 8-15) est surtout intéressante pour la conclusion que Dieu en tire : « Oui, j’établis mon alliance avec vous, aucun être vivant ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre ». Quand on se pose des questions sur l’historicité de ce déluge, je pense que l’on s’empêtre vite dans des choses qui ne sont pas essentielles. Au fond, cette histoire a été écrite moins pour dire ce qui s’est passé que pour dire que cela ne se passera plus.
Lorsque Dieu dit après le Déluge : « Plus jamais je ne détruirai les injustes sur la terre » il faut bien reconnaître que cela nous embête. Qui de nous, à un moment donné dans sa vie, aux prises avec l’injustice, avec les arrogances, n’a pas rêvé que Dieu vienne et élimine l’injuste et l’arrogant de la surface de la terre : « Seigneur fais-moi justice, mets au pas mes ennemis et fais-les mourir s’il le faut ! » Remarquez, Dieu n’a fait mourir ni Hitler ni Staline, et il n’intercepte ni les jihadistes de Boko Haram ou de l’État islamique ni les magnats de la finance internationale. Dieu a dit : « Plus jamais je ne le ferai » et nous sommes invités à entrer dans sa conception de l’alliance. Dieu veut faire alliance avec tous les hommes, il veut tendre l’arc-en-ciel à tous les hommes, si-bien que je suis invité à aimer chacun comme Dieu l’aime, avec la même espérance que Dieu pose sur lui, même s’il nous semble tellement pourri parfois. Espérer, espérer pour tous !
L’alliance que l’histoire du déluge établit, Jésus est venu nous apprendre la vivre, et le premier apprentissage qu’il nous donne pour vivre l’alliance c’est d’être tenté… C’est intéressant que Jésus soit tenté, lui qui n’a pas péché. Dans notre vie la tentation débouche de temps en temps sur le péché, et on a finalement l’impression que le fait d’être pris dans la tentation vient du fait que nous sommes pécheurs. Nous pouvons même nous lamenter envers Dieu en disant : « Oh Seigneur ce n’est pas juste, nous sommes trop tentés, tout çà est au-dessus de nos forces, c’est à cause de nos faiblesses de pécheurs… » Et nous voyons pourtant que Jésus, le Fils de Dieu qui n’a jamais péché, est tenté.
Être tenté ne relève pas de notre « être pécheur », c’est une aventure que doit vivre tout être spirituel, c’est à dire tout être libre. Les anges aussi furent tentés, tentés de ne pas accepter leur condition et de se prendre pour Dieu. C’est ainsi qu’est né le diable, cet ange qui ne veut plus aimer Dieu mais veut plutôt prendre sa place. Cela lui a traversé l’esprit — si j’ose dire ! Il pouvait choisir puisqu’il était libre —, et non seulement cela lui a traversé l’esprit mais malheureusement il l’a choisi, il a fait son bien de ce mal, de cette absurdité qui est de se dresser contre l’auteur de tout. Son rêve est maintenant d’entraîner les hommes sur son chemin de révolte et il y travaille bien ! Mais nous savons qu’il n’aura pas le dernier mot, qu’il a été vaincu par le Christ, déjà au désert pendant ces 40 jours, et puis surtout par la fidélité du Christ jusqu’à la croix, victoire que sa résurrection d’entre les morts vient certifier. Le diable est défait !
Il nous reste une précision à saisir : ce n’est pas parce que le diable nous tente que toutes les tentations sont du diable. Il nous faut marcher sur une ligne de crête entre deux versants sur lesquels roulent des chrétiens. Il y a des chrétiens qui se disent : « Oh le diable c’est des inventions du Moyen Âge ou d’il y a bien plus longtemps encore, mais nous qui sommes d’un monde raisonnable, moderne, libéré, nous savons bien que le diable n’existe pas, que ce ne sont que des mécanismes psychologiques… » C’est un versant excessif qui néglige toute une partie du monde, ce monde des esprits que l’on ne voit pas, que la science n’observe pas, l’univers invisible dont parle le Credo. Sur l’autre versant, il y a des chrétiens — qui se croient plus chrétiens que les premiers —, qui voient le diable partout, et s’ils sont tentés de manger un morceau de chocolat un jour de carême, c’est que le diable le leur a inspiré ! Là aussi c’est une exagération, le diable ne passe pas son temps à des futilités de ce genre.
Il nous faut marcher sur une ligne de crête entre les deux. Toute tentation n’est pas du diable, il y a la tentation « commune », qui est liée tout simplement à l’exercice de notre liberté et à une sorte de défaut de notre volonté et de la perception en nous de ce qui est notre vrai bien : un manque de courage et de jugement, qui nous fait pécher. Nous avons du travail à développer chez les jeunes et en nous cette ténacité et ce sens du jugement de ce qui est notre vrai bien. Ensuite nous remarquons aussi que la logique du mal s’enclenche rapidement, et que le diable s’en mêle. On le voit bien à ce que cela va entraîner la personne bien plus loin : cela va l’entraîner à trahir, à mentir, cela va l’entraîner, au besoin, à accuser l’autre. Mensonge, dissimulation, accusation fausse, ce sont bien les œuvres du diable.
Une autre preuve de cette venue du diable, c’est l’invasion d’une puissance destructive dans notre vie et dans celle des autres. Au mal que j’ai fait s’ajoute une tendance à me détruire moi-même, à me détester moi-même, à me rejeter moi-même… C’est ce qui arrive par exemple dans la dépendance à la drogue, où celui qui essaie de s’en sortir et retombe commence à se mépriser lui-même et à penser qu’il ne vaut même plus les efforts pour en sortir. Cela est sûrement la signature du diable. Ce qui tend à détruire les autres ou nous-même, à les asservir, à leur faire perdre la confiance en eux, l’estime d’eux-mêmes jusqu’à parfois les pousser à des extrémités, voilà aussi l’œuvre du diable.
Il nous faut débusquer cette œuvre pour ne pas nous mettre à raisonner comme satan mais comme le Christ. Et le raisonnement du Christ est celui d’une fidélité sans faille, quels que soient les obstacles. Je pense que c’est le vrai raisonnement qui doit nous aider à déjouer toutes les tentations : « Seigneur Jésus, je veux être fidèle comme Toi, fidèle même quand je ne sais pas comment Dieu fera pour me tirer d’affaire, parce que je sens bien que ma fidélité ne m’apporte pas que des avantages. Mais si je suis fidèle, je sais que Dieu pourra faire aboutir ma cause et la sienne. » Voilà le seul raisonnement valable devant la tentation.
Nous voilà partis comme Jésus pour 40 jours au désert, 40 jours de carême pour développer en nous une sensibilité nouvelle aux choses invisibles, aux choses d’en-haut, à l’amour de Dieu que l’on ne voit pas, mais que l’on trouve quand on le cherche. Et nous allons faire cela ensemble, vivre ce carême ensemble, en se serrant les coudes, en s’encourageant les uns les autres dans cette recherche de Dieu et de son amour. Encouragez-vous à vivre un bon carême, aidez-vous les uns les autres, en famille, entre amis chrétiens, encouragez-vous !
Cette solidarité est très ancienne : le carême est né dans l’antiquité quand des adultes ont dû se préparer au baptême. Ils étaient baptisés à Pâques et vivaient leur dernier effort pour tourner leur cœur vers Dieu pendant ces 40 jours, comme Jésus. La communauté chrétienne qui les entourait ne disait pas : « Allez, bon courage les amis… on vous retrouve à Pâques… ! » Elle disait plutôt : « On est avec vous, on se serre les coudes avec vous, on utilise avec vous les moyens du combat spirituel que sont le jeûne, la générosité dans l’aumône, et la prière. C’est avec vous qu’on va le vivre parce que vous êtes nos frères. »