homélie du 3e dimanche de carême, 24 mars 2019
« Qu’est-ce{joomplu:386} que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive cela ? » On entend encore souvent cette réaction. Ou bien, de quelqu’un qui souffre : « il n’a pas mérité cela ». C’est une réaction naturelle en nous, un vieux fond païen : quand survient un malheur, une solution est de l’interpréter comme une punition divine. Aujourd’hui Jésus écarte cette vision de la vie et de Dieu : « Pensez-vous ? Eh bien je vous dis : pas du tout ! » (Lc 13) Les malheurs de la vie ne sont pas des punitions de Dieu. Pourtant Dieu peut nous parler à cette occasion, et Jésus le relève aussitôt : « mais si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même ».
Nous voyons parfois des personnes, prises dans un accident grave ou un attentat, qui se disent : je ne peux plus vivre dans la même insouciance, je dois changer ma façon de vivre. Jésus affirme que c’est une question de vie ou de mort. Il me semble que le Seigneur ne parle pas de la vie terrestre, mais de la vie plus grande, la vie de Dieu en nous qui se déploie en vie éternelle. Cette vie de Dieu en nous, ce n’est pas quelque chose d’automatique, que l’on possède comme le fait de manger ou boire. La vie de Dieu en nous grandit, ou meurt, selon que nous nous convertissons ou que nous nous laissons vivre. Et c’est justement cela, se convertir : reconsidérer sa vie et examiner ce qui devrait changer pour vivre selon la justice de Dieu et son amour.
À ce point de la réflexion nous pourrions revenir à la posture païenne du départ et penser que Dieu voudrait mesurer notre degré de conversion pour voir ce qu’il nous donnerait comme récompense. Mais le Fils de Dieu nous révèle qu’il en est plutôt de la conversion comme de l’agriculture. C’est par un examen de nous-mêmes et un changement que nous transformons notre sol intérieur et que la grâce peut y porter du fruit. Pour reprendre les images de la parabole (Lc 13,6), à notre baptême il y a comme un figuier qui est planté dans notre cœur. Donnera-t-il du fruit ou ressemblera-t-il à l’arbre qui déçoit Jésus ? Il donnera du fruit si nous bêchons autour et y mettons du fumier.
Bêcher, c’est ébranler nos duretés, nous contester nous-mêmes là où nous nous complaisons dans un confort intérieur contraire à l’amour et au don de nous-mêmes. Seigneur, où dois-je bêcher dans mon cœur, quelle est la zone dure et imperméable à ton amour qui doit être émiettée ? Et si je n’y parviens pas tout seul, voudras-tu le faire avec moi ? Tiens, voici mon cœur, bêche-le toi-même si tu trouves que je ne m’y mets pas !
Et puis il faut mettre du fumier, c’est-à-dire accueillir l’amour., se laisser aimer par Dieu et par ceux au service de qui on s’est mis. Il ne suffit pas d’être généreux, mais nous avons besoin d’accueillir l’amour et d’en rendre grâce, de dire notre reconnaissance. C’est important, pour que notre cœur se nourrisse, qu’il accueille l’amour. Se laisser aimer par Dieu est une activité essentielle du combat spirituel. Je dis combat, car il faut pour cela rejeter les apparences, l’illusion que l’amour de Dieu est abstrait ou lointain ou général. Cela consiste à considérer sérieusement l’amour de Dieu comme un amour personnel qui nous est donné. Cela consiste à prier en pensant que nous sommes tant aimés. Cela consiste à conduire le flot de nos pensées vers cette réalité centrale : je suis aimé d’un amour unique et vibrant. « Dieu m’aime tant et moi je l’aime de tout mon cœur » : voilà l’engrais qui permettra à notre cœur de produire des fruits d’amour pour tous ceux qui nous rencontrent.