homélie du 22e dimanche B, 29 août 2021
{joomplu:526} Mettez la Parole en pratique », nous dit saint Jacques, cette Parole qui a été semée en nous et qui peut sauver nos âmes (Jc 1,17-18). Quelle est cette Parole, afin que nous la mettions en pratique ? Dans un raccourci simplificateur nous pourrions dire : la Parole de Dieu, c’est la Bible… J’ouvre ma Bible et je sais ce que je dois faire ! Pourtant, quand vous essayez, vous restez bien souvent dubitatif. Si vous tombez sur le Nouveau Testament, ça va encore, quoi que… mais que faire si vous lisez « si ton frère cherche en secret à te séduire en disant : “Allons servir d’autres dieux !”, tu devras le tuer : tu seras le premier à lever la main contre lui pour le mettre à mort … » (Dt 13,6ss) ? Pourquoi ne le faisons-nous plus ? La raison ne peut pas être que nous filtrons la Bible d’après ce qu’admet notre culture occidentale libérale. Si c’était le cas, jamais l’Évangile n’aurait pu façonner le monde. Il nous faut trouver un autre principe d’interprétation que l’opinion ou le politiquement correct.
Ceci, c’était pour la morale, mais sur les points de la foi elle-même nous sommes parfois perplexes. Jésus n’a jamais dit dans l’Évangile : asseyez-vous ici, je vais vous expliquer que je suis le Fils de Dieu, lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non pas créé… Nous avons fêté l’Assomption de la Vierge Marie il y a 15 jours. Ce n’est pas dans la Bible ! Est-ce hors de la Parole de Dieu ? Eh bien non, car la Parole de Dieu ne se réduit pas à la Bible. En parlant des premiers chrétiens, saint Luc écrit : « ils accueillirent la Parole de tout leur cœur, interrogeant chaque jour les Écritures pour voir si ce que l’on disait était exact. » (Ac 17,11). Ces gens accueillent la Parole de Dieu proclamée par Paul et Silas, et ils vérifient dans la Bible que cela correspond. Mais ce ne sont pas les Écritures qui les ont conduits à la foi, c’est la Parole proclamée par Paul et Silas. La Bible est le support de la Parole, mais la Parole ne se réduit pas à elle. Pour entendre la Parole de Dieu je dois lire la Bible, mais cela ne suffit pas.
Pour en parler plus précisément, je vais utiliser les mots du Concile Vatican II1. La source de tout, c’est la Révélation : Dieu qui veut se faire connaître, bien qu’il dépasse tellement tout ce que nous pouvons connaître (№ 2). Pour réaliser cela, il parle, il s’exprime, il sort de lui-même vers nous. Cela commence avec Abraham, puis toute l’histoire que Dieu vit avec son peuple, en se faisant connaître au fur et à mesure des progrès de l’humanité : l’Histoire sainte. Cette histoire est mise par écrit par des auteurs inspirés par Dieu. Ce sont les Écritures, qui font connaître cette démarche de Dieu qui sort vers nous. Mais ce n’est qu’un début. La Parole de Dieu, ce geste de sortir de lui vers nous, au fond, c’est son propre Fils. Saint Jean dira d’ailleurs que le Fils de Dieu est le Verbe (Jn 1). Et ce Verbe, cette Parole de Dieu, des hommes l’ont vue et touchée, des hommes l’ont entendue et ont répété ses paroles et ses gestes : ce sont les apôtres et les premiers disciples de Jésus le Fils de Dieu.
Pour les Apôtres, la Parole de Dieu c’est Jésus et tout ce qu’il a rendu possible : il est mort et il est ressuscité pour que nous passions avec lui par où il est passé, vers la vie éternelle. On aurait pu s’arrêter là. Nous avons la Parole ultime de Dieu, c’est Jésus dans notre vie. Nous venons à la messe, nous côtoyons la Parole quand elle se donne à nous toute entière dans son Corps et son Sang. Lui, la Parole, imprime ainsi en nous la façon dont Dieu voit la vie, la vie comme don de soi. Jésus dépasse tellement tout ce que Dieu avait réussi à faire connaître de lui que les écrits qui le précèdent, ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament, doit être redressé selon le profil de la Croix du Christ. C’est elle le guide. Elle est la charrue qui permet de labourer le champ des Écritures. Il n’est par exemple plus question d’appliquer Dt 13 lorsque le Fils de Dieu a donné sa vie en étant tué par la main des païens.
Les premiers chrétiens ont mis par écrit ce que disaient les apôtres annonçant la Parole de Dieu. Cela est devenu de nouvelles Écritures, que nous appelons le Nouveau Testament. C’est notre référence, car elles parlent mieux de notre Jésus, lui qui est la Parole. C’est pourquoi je conseille toujours de commencer la lecture de la Bible par le Nouveau Testament, et même par les Évangiles. C’est notre référence, mais vous sentez bien que la Parole de Dieu ne peut pas être limitée à ces Écritures où elle est consignée. La Parole de Dieu est également transmise de bouche de chrétien à oreille de chrétien. C’est la Tradition. La Tradition, c’est cette transmission que nous réalisons tous ensemble en nous réunissant pour prier, pour écouter, pour agir comme un grand corps, l’Église. Dans le calendrier des fêtes, dans notre manière de prier, dans notre façon de servir les plus petits, il y a aussi la Parole de Dieu.
L’Évangile nous met en garde que la Tradition peut se déformer. En suivant les modes, elle peut devenir la « tradition des hommes » et s’éloigner du « commandement de Dieu » (Mc 7,8). Jésus avait confié son Église à Pierre et aux apôtres. Leur mission de gardiens de la foi s’est continuée par le service (le ministère) des évêques et du pape. Mais eux aussi sont parfois victimes des modes passagères, c’est pourquoi l’Église doit souvent se réformer, en accueillant à nouveau toute la Parole de Dieu : l’Écriture comprise et vécue par le grand corps vivant de l’Église où nous sommes une part indispensable : l’Écriture dans la Tradition. Pour résumer, j’emprunte une expression à la règle des séminaires : «la Parole de Dieu, consignée dans l’Écriture, transmise dans la Tradition et authentiquement interprétée par le Magistère » (Ratio 2016).
Alors, cette semaine, lisons quelques pages de l’Évangile, et quelques pages de la Tradition, en venant à la messe, en lisant un bon texte de foi, en travaillant pour les pauvres. Ainsi la Parole de Dieu sera vivante en nous et elle se transmettra.
1Constitution dogmatique Dei Verbum.