homélie du 1er dimanche de carême C, 6 mars 2022
{joomplu:7}Il y a intérêt à être des gens qui regardent d’où ils viennent pour comprendre où ils vont, sinon on se met à vivre surtout dans l’instant présent quitte à se retrouver souvent au pied du mur — car, bien que l’idée de vivre dans l’instant présent puisse se réclamer de l’évangile, quand il s’agit de s’abandonner à la Providence du Père, elle devient souvent la prétention à ne pas se soucier des conséquences de ses choix de plaisir ou de confort, et nous mène alors tôt ou tard dans une impasse. La première lecture nous raconte comment chaque Israélite devait se rappeler ce que Dieu avait fait pour son peuple, et vivre sa vie en reconnaissance. Nous voilà invités nous aussi à être des hommes et des femmes de mémoire, des gens qui peuvent vivre et tenir maintenant parce qu’ils se rappellent ce que Dieu a fait pour eux. Nous ne sommes pas ballottés dans le vent comme les ardoises de l’église dans la tempête Eunice. Nous ne sommes pas des personnes qui n’ont pas de centre, qui ne savent pas qui elles sont ni où elles vont. Nous sommes enfants de Dieu depuis notre baptême, nous sommes habités par l’Esprit Saint depuis notre confirmation, nous sommes libérés de nos péchés par le Christ, nous pouvons tisser jour après jour un fil d’amitié avec le Dieu de l’univers de qui tout ce qui existe provient. Et nous savons qu’il peut faire aboutir notre vie, non pas à la tombe, mais dans son Royaume, près de lui, heureux devant sa face.
Tout cela se met à vivre en nous si nous le redisons souvent à notre cœur. Pensons activement à l’amour de Dieu, à tout ce qu’il a fait pour nous, ici dans l’église, mais aussi dans la file au supermarché ou à l’arrêt du bus. Pensons-y, et parlons-en aussi. C’est ainsi que saint Paul nous dit : « si de ta bouche, tu affirmes que Jésus est Seigneur, si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé. » Nous, les chrétiens, sommes des gens appelés à remettre sans cesse au centre de leur vie les hauts faits de Dieu pour eux. C’est pourquoi un chrétien non-pratiquant est une réalité bien étrange. Car comment être chrétien sans se rappeler, sans revivre le don que Dieu nous fait, pour que ce soit notre fond d’écran, pour que l’amour du Christ soit l’horizon de notre regard. Bien sûr, on nous dira que nous nous basons sur des choses irréelles, que tout cela manque de concret. Nous-mêmes, nous aurons tendance à le penser parfois, quand un peu de lassitude ou de désillusion entrera dans notre cœur. Mais finalement, ceux qui nous accuse de mettre du poids dans ce qui est irréel, ne sont-ils pas en train de placer tout un monde virtuel au centre de leur vie ? Après quoi court la majorité de la population, sinon après des réalités fugitives ou virtuelles qui se font croire plus que réelles ? Ils mettent leur gloire dans ce qui n’a pas de poids, tandis que nous cherchons à donner du poids à l’essentiel.
Que c’est l’essentiel, on peut le comprendre encore en se posant la question : qu’est-ce qui a fait tenir Jésus dans la tentation ? Qu’est-ce qui nous fera tenir nous-mêmes dans la tentation ? Ce ne sont pas les choses fugitives de ce monde, ce n’est pas l’espoir de nouvelles sensations ou d’un confort augmenté qui nous rendrons meilleurs et plus forts. Ce qui nous fait refuser de succomber aux attraits de la facilité, de la domination ou du découragement, c’est la puissance de l’amour de Dieu que nous accueillons dans la foi en nous la rappelant sans cesse. Si nous ne voulons pas devenir insignifiants, menteurs, paresseux, profiteurs ou tyrans domestiques, nous devrons nous battre contre la tentation. On voit bien où la tentation est en train de conduire le monde, partagé entre la violence et le désespoir. Que notre foi fasse de nous les vrais combattants de l’avenir, les planteurs de l’espérance, ceux qui préparent un monde nouveau après que ce monde-ci se sera dissipé dans sa fumée d’illusions. En nous fondant sur Dieu, nous pourrons tenir et donner à d’autres d’espérer aussi. Que ce carême affermisse notre foi !