homélie du 4e dimanche de l’Avent B — 21 décembre 2014
Nous voilà placés devant{joomplu:169} une des originalités les plus surprenantes du christianisme : la conception virginale de Jésus. Pour essayer de comprendre ce point de la foi, écartons d’emblée un malentendu : ce n’est pas parce que l’Église aurait prétendument des difficultés avec la sexualité que nous croyons que le Christ a été conçu hors de l’union charnelle de Marie et Joseph. La question n’est pas là. Il s’agit plutôt de la question de l’identité de Jésus. Qui est cet homme reconnu Fils de Dieu ?
Les choses auraient pu se passer autrement. Je vois deux grandes fictions possibles. Selon la première le Christ viendrait d’on ne sait où. « Le Christ, à sa venue, personne ne saura d’où il est » disent certains habitants de Jérusalem devant le Galiléen (Jn 7,27). Nous serions devant un Christ parachuté du ciel, dont la divinité ne serait pas douteuse, mais dont on peut se demander : qu’a-t-il d’un humain celui qui semble venir de nulle part, qui n’a ni père ni mère, qui n’a d’origine que surnaturelle ? L’autre fiction serait de penser que Jésus est le fils naturel de Marie et Joseph, adopté ensuite par Dieu comme son fils. Ici l’humanité n’est plus en doute, mais on peut se demander quelle est la consistance réelle de la divinité du Christ s’il est Dieu par adoption. Comment un homme grandi par Dieu peut-il être aussi être vraiment Dieu venant par amour à notre rencontre ? D’un côté on se retrouve avec un Christ qui n’est pas vraiment homme. De l’autre, il n’est pas vraiment Dieu et Dieu ne nous aime pas vraiment. Dans un cas comme dans l’autre il y a un défaut, car comment le Christ pourrait-il valablement nous réconcilier avec Dieu en sa personne s’il n’est pas vraiment des deux côtés, homme et Dieu ? Cet argument très ancien, appelé argument sotériologique, a été utilisé aux 4e et 5e siècles pour se frayer un chemin au milieu des théories possibles et arriver à garder l’originalité de l’initiative de Dieu lorsqu’il se fait homme.
Jésus conçu dans les entrailles de la Vierge Marie — dans son utérus dirait-on aujourd’hui — mais venant de la « puissance du Très-Haut », voilà ce qui peut rendre compte convenablement de l’identité du Christ et de la qualité de l’amour de Dieu manifesté en lui. Et pour admettre cela aujourd’hui il faut imiter l’attitude de Marie. Marie n’est pas naïve. Lorsque l’ange lui dit qu’elle sera enceinte, elle répond qu’elle se demande bien comment ça peut être possible, puisqu’elle est vierge. Marie sait bien que pour faire un enfant il faut un homme (elle n’a pas encore été contaminée par l’idéologie du XXIe siècle qui croit qu’on peut s’en passer !) Après l’objection de Marie, l’ange argumente : « l’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre » (Lc 1,35). Alors Marie comprend que c’est possible, puisque c’est la puissance du Très-Haut. Marie n’est pas rationaliste, elle n’exclut pas que Dieu puisse agir par lui-même, autrement que par le cours naturel des choses.
Son attitude nous renvoie à une dimension importante de la foi soulignée dans la fameuse encyclique des deux papes1. On y lit : « notre culture a perdu la perception de cette présence concrète de Dieu, de son action dans le monde. Nous pensons que Dieu se trouve seulement au-delà, à un autre niveau de réalité, séparé de nos relations concrètes. Mais s’il en était ainsi, si Dieu était incapable d’agir dans le monde, son amour ne serait pas vraiment puissant, vraiment réel, et il ne serait donc pas même un véritable amour, capable d’accomplir le bonheur qu’il promet. Croire ou ne pas croire en lui serait alors tout à fait indifférent. Les chrétiens, au contraire, confessent l’amour concret et puissant de Dieu, qui agit vraiment dans l’histoire et en détermine le destin final, amour que l’on peut rencontrer, qui s’est pleinement révélé dans la Passion, Mort et Résurrection du Christ. » En ce jour, Marie nous renvoie cette question : crois-tu que Dieu agit, ou considères-tu que Dieu est une idée bien trop lointaine pour pouvoir interagir avec nos vies ? Mais dans ce cas, à quoi bon parler de l’amour de Dieu si on ne croit pas qu’il peut agir ?
Les souffrances de la vie ont pu mettre en nous une barrière à cette conviction que Dieu agit. Nous nous disons : s’il pouvait agir, pourquoi n’a-t-il pas agi dans telle situation ? Cette question m’agite aussi, et je n’ai de réponse que celle de l’obéissance de la foi. On gagne à « craindre » Dieu comme le disait l’Ancien Testament, c’est-à-dire à entrer dans une confiance plus résolue en la présence concrète de Dieu. Dieu n’est pas lointain et théorique, malgré certaines apparences. Avec Marie je peux le découvrir. Qu’elle nous enseigne à croire comme elle, afin d’être comme elle remplis d’audace et pouvoir aimer plus que nous n’aurions imaginé !
On n’a jamais assez d’audace quand il s’agit de l’amour généreux et fidèle. Et pourtant il y va de l’agrandissement de notre cœur et de son aisance dans la vie éternelle à venir. Croire plus pour aimer plus, voilà en cette approche de Noël une belle résolution !
1Lumen fidei, No 17.