homélie du 3e dimanche de Pâques
Les apparitions{joomplu:42} du Christ ressuscité à ses disciples dans les semaines qui ont suivi la résurrection nous sont précieuses car elles continuent de nous montrer comment a lieu la rencontre du Christ aujourd’hui, 2000 ans plus tard. C’est le chemin de tout disciple vers le Christ qui nous est raconté. Lisons ce récit de Jn 21 dans cette perspective.
Nous sommes d’emblée plongés dans la vie quotidienne, une soirée de pêche pour des pêcheurs. Cette vie quotidienne est marquée par la difficulté : « cette nuit-là, ils ne prirent rien » (21,3). C’est dans l’épreuve bien avancée que paraît Jésus, sans être reconnu. Son attitude est pleine d’affection et de délicatesse (21,5). Il aide les disciples à comprendre l’impasse de leur vie sans lui, mais sans faire de reproche. Sa question est comme un appel à davantage : « les enfants, avez-vous quelque nourriture ? »
Ensuite, les efforts qui sans Jésus ne portaient pas de fruit sont soudain couronnés de succès, alors que raisonnablement on ne pouvait plus y croire : il commençait à faire clair. C’est alors seulement qu’un disciple plus perspicace que les autres peut dire : c’est le Seigneur. Nous avons encore besoin de disciples au regard aiguisé, au cœur affiné par l’attente du Seigneur. Les moines et les moniales, les religieuses et les religieuses, les prêtres sont parmi ces disciples qui doivent garder le cœur attentif afin de pouvoir dire à tous : c’est le Seigneur ! Il est là dans ta vie, accueille-le !
Qu’est-ce que le Christ propose alors ? De passer un moment avec lui. Il a tout préparé déjà, un feu, le poisson, du pain. Lui qui n’est plus au tombeau, le voilà travaillant pour ses disciples au bord du lac. « Venez déjeuner », leur dit-il. Venez au repas du Seigneur, nous dit-il aujourd’hui. La rencontre du Seigneur a lieu lorsqu’on accepte de passer du temps avec lui. C’est ce qui est encore souligné par la mystérieuse phrase : « aucun des disciples n’osait lui demander : “qui es-tu ?” ; ils savaient bien que c’était le Seigneur ». Pourquoi, s’ils savaient que c’est le Seigneur, pensaient-ils — sans oser le faire — à demander « qui es-tu » ? Parce que leur cœur désirait en savoir davantage. Mais, si c’est le Seigneur, on ne le connaît pas en lui posant la question « qui es-tu ? », en essayant de savoir quelque chose sur lui comme un inspecteur de police ou un journaliste. On le connaît en restant avec lui, en s’asseyant pour être avec lui, en le côtoyant dans la prière, en se mettant à penser à lui en l’aimant.
Il y a enfin l’épisode du dialogue avec Pierre, où Jésus remonte le fil des trois reniements pour les réparer par trois « je t’aime ». Preuve que le pardon n’est pas un coup d’éponge mais le rétablissement d’une vraie relation. Néanmoins, ce n’est pas encore la relation rêvée, la relation idéale que voudrait Jésus et qui un jour peut-être s’établira. Pour le moment, quand Jésus demande à Pierre « m’aimes-tu vraiment » (ἀγαπᾷς με), celui-ci répond « tu sais que je t’aime bien » ( φιλῶ σε). C’est-à-dire : tu sais que mon amour ne correspond pas à ton amour, n’est pas ajusté à toi, mais voilà, il est là comme ça, c’est ce qu’il y a en moi. Ce décalage entre la question de Jésus et la réponse de Pierre n’empêche pas Jésus de lui donner la mission inouïe d’être le berger de ses brebis.
En même temps, Jésus indique à Pierre comment grandir dans l’amour, dans un amour qui est un vrai don de sa propre personne à celui qu’on aime : « quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » (21,18) Pierre, par amour pour le Christ et pour ceux à qui il est envoyé, acceptera qu’on lui enlève la vie. C’est le martyr par lequel il signe son annonce de l’Évangile, le martyr auquel il est juste pour chacun de nous de se préparer. Contrairement à ces fous qui se font exploser au milieu des foules, le martyr chrétien n’expose pas la vie des autres, il expose la sienne, dans la cohérence de l’amour du Christ pour tous. C’est l’amour qui le conduit, dans le don généreux de soi-même. Et ce don généreux, ce n’est pas une fois seulement qu’on le fait, mais tout au long de sa vie, dans mille façon d’aimer, comme en témoignent bien des hommes et de femmes, mariés ou célibataires, dans notre pays aujourd’hui. Que rien ne nous arrête dans le don de nous-mêmes par amour !