homélie du 32e dimanche C, 6 novembre 2016

Pourquoi{joomplu:93} les sadducéens entreprennent ils Jésus sur la résurrection ? A-t-il déjà évoqué ce sujet ? Il n’y a pas d’exemple où Jésus ait dit : asseyez-vous, je vais vous parler de la résurrection. Mais c’est une perspective qui transparaît dans nombre de ses enseignements, comme une fenêtre vers un au-delà. Nous venons d’entendre les Béatitudes, où il est question d’un bonheur dont Jésus dit qu’il se manifeste clairement « dans les cieux » ; vous connaissez aussi son exhortation à payer de sa personne dans le combat spirituel, parce qu’il veut mieux entrer borgne ou estropié « dans la vie » que d’être jeté dans la géhenne sans avoir combattu (Mt 18,9).

À l’époque de Jésus il y a un courant spirituel qui parle d’une résurrection des morts, comme nous l’avons remarqué dans l’épisode de la première lecture, en 2 M 7. Un autre courant combat cette espérance comme inauthentique ; c’est le mouvement des sadducéens. Le christianisme récent a connu une division semblable, où s’est fait sentir une véritable gêne de parler de la vie éternelle. On se demandait s’il n’y avait pas une fuite de l’engagement, une résignation à ce qui ne va pas et qui est injuste. Alors que c’est tout le contraire : quand notre espoir n’est pas de jouir de la pension mais de la vie éternelle, nous sommes prêt à prendre beaucoup plus de risques en faveur de la vie, de l’amour fidèle et de la justice.

Jésus, comme toute la Bible, n’utilise pas l’idée d’immortalité de l’âme, qui est plutôt un concept d’origine grec, mais il utilise une image de Dieu — Dieu qui fait alliance avec les hommes, avec Abraham, Isaac et Jacob, avec Moïse et son peuple opprimé — pour nous faire comprendre que la personne continue au-delà de la mort. Soit dit en passant, dans cette idée de persistance de la personne nous voyons bien la différence entre l’espérance chrétienne et l’espérance bouddhiste ou hindouiste, où le salut se réalise en échappant à la malédiction de la réincarnation, dans l’abandon de toute prétention individuelle, pour se fondre et s’éteindre, “nirvana signifiant étymologiquement “extinction”. Jésus reprend les paroles que Dieu adresse à Moïse au Buisson ardent lorsqu’il se présente et décline son identité : « je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob » (Ex 3,6) Le raisonnement de Jésus me paraît être celui-ci : puisque Dieu n’est pas le Dieu des morts, il ne se réclamerait pas d’Abraham, Isaac et Jacob si ceux-ci sont morts ; c’est donc qu’ils sont vivants, c’est donc qu’on ne s’éteint pas à la mort mais qu’on peut encore nous appeler par notre prénom après la mort. En parlant d’Abraham, Isaac et Jacob Dieu parle bien de personnes toujours vivantes, lui qui est le Dieu des vivants.

Ces derniers jours, nous sommes allés sur la tombe de nos proches. Nous nous sommes rappelés leur mort, leurs derniers instants. Nous avons éprouvé le caractère inéluctable de la mort. Mais c’est le moment d’affirmer à nous-mêmes qu’ils vivent : Dieu est le Dieu des vivants.

C’est comment, cette résurrection ? Trouvera-t-on des indications dans ce que dit Jésus ? Il nous dit surtout que ce n’est pas comme ce que l’on connaît. Au point d’inquiéter les couples parmi nous : les époux deviendraient-ils étrangers l’un à l’autre ? Jésus n’évoque pas un amour amoindri, bien au contraire. Mais qui ne doit plus être gardé par l’exclusivité conjugale. En savons-nous davantage ? Jésus ne dit pas seulement qu’il y a une résurrection : il va la rendre possible par sa passion et sa propre résurrection ; il est le « premier-né d’entre les morts. » (Col 1,18) Il inaugure une résurrection comme il la vit lui-même.

Nous savons ainsi qu’il y aura pour nous une « résurrection de la chair » (cf. le Symbole des apôtres), semblable à celle du Christ. Sauf que nous, nous ne ressuscitons pas 3 jours après. Au contraire, on nous met avec soin au cimetière, ce « lieu où l’on repose ensemble ». C’est impressionnant de visiter à Rome les catacombes, où les premiers chrétiens déposaient le corps de leurs chers disparus dans l’espérance de la résurrection de la chair qui aurait lieu un jour. Être mis au cimetière, c’est attendre ensemble la résurrection de la chair, même si notre corps doit d’abord connaître la corruption. C’est pourquoi l’Église n’admet qu’à contre-cœur, pour de graves nécessités, l’incinération des défunts. Incinérer, disperser les cendres, cela cadre très bien avec l’espérance des orientaux, qui est l’espérance de n’être plus quelqu’un, d’être dispersé dans le grand tout. Mais c’est en contradiction avec l’espérance chrétienne. S’il vous plaît, ne choisissez pas l’incinération !

Comme cette résurrection de la chair n’a pas lieu à la mort de chacun, car on voit bien que notre tombeau à nous n’est pas vide, on peut se demander ce que nous devenons. Cessons-nous d’exister pour un temps ? Sommes-nous mis sur « pause » ? Non, Dieu nous appelle déjà à la vie. On le déclare clairement pour les bienheureux et les saints, qui vivent déjà de la vision de Dieu même s’ils attendent aussi la résurrection de la chair. Le Dieu des vivants nous appelle déjà à la vie, et à la fin du temps il y aura cet événement collectif, communautaire : le Jugement dernier, qui signera la fin de tout mal dans toute la Création. C’est le discernement ultime, qui inaugure cette vie où nous serons tous ensemble, comme un grand peuple joyeux d’accueillir le don de Dieu.