homélie du 3ème dimanche de carême, Lc 13,1-9
Les contemporains de Jésus avaient tendance à croire que le bonheur et le malheur sont des choses qui se méritent. De nos jours encore, nous trouvons assez rassurant de penser que si quelqu’un connaît le malheur c’est que pour une part il l’a voulu ou en est responsable. Et cette idée se renforce en considérant qu’il y a vraiment moyen de faire par soi-même son malheur.
Pourtant les événements heureux ou malheureux de nos vies ne sont pas des récompenses ou des punitions du ciel. Jésus insiste sur ce thème : « Pensez-vous que ces Galiléens [massacrés] étaient de plus grands pécheurs que tous les autres Galiléens, pour avoir subi un tel sort ? Eh bien non, je vous le dis ! » Et les dix-huit victime de l’effondrement de la tour de Siloé non plus. Que ce soit la maladie, le licenciement, les catastrophes naturelles, rien n’est envoyé du ciel pour nous punir. Et même, il faut aller plus loin : bien souvent rien ne relève en cela de notre faute.
Le mal n’est donc pas un instrument du ciel, mais pourtant, par la façon dont notre cœur se situe devant lui, il peut devenir occasion d’un changement salutaire. Après avoir écarté la punition de la tête des Galiléens et des pauvres victimes de la tour de Siloé, Jésus poursuit : « et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux. » Le mal et la souffrance sont absurdes en eux-mêmes, mais chacun pour lui-même peut y appliquer un sens, et c’est un sens de conversion, de changement, d’ouverture à l’amour. Le week-end passé j’ai eu la chance d’entendre le témoignage d’une dame qui, après avoir connu l’épreuve d’une séparation — et on pourrait assimiler ce drame à ceux évoqués par Jésus — puis la révolte et aussi le doute de soi, est arrivée à se laisser toucher par Dieu au moment d’une grave maladie. Et finalement elle a choisi le chemin de séparée fidèle et y a trouvé une grande pacification. Quand l’épreuve nous désarme, ne nous réarmons pas, mais laissons notre cœur bouleversé crier vers Dieu avec le sentiment que c’est un moment décisif, où se joue notre vie, où se joue plus de vie.
Quand vient l’épreuve, puissions-nous rapidement dépasser ce mouvement plutôt païen en nous qui nous fait demander des comptes à Dieu. Puissions-nous le dépasser pour accueillir l’appel fulgurant de Jésus : « si tu ne te convertis pas, tu périras comme eux. » C’est un appel à rebondir, un appel à choisir la vie, contre toutes les forces de mort, d’absurdité ou de déni.
Dieu n’est pas la cause du mal. On le voit clairement pour le mal qui vient d’une liberté qui lui est contraire, lorsque l’homme méprise les commandements de Dieu. Quant au mal issu des forces de la nature, je n’aime pas qu’on dise même que Dieu le « permet ». Les découvertes scientifiques montrent à quel point les catastrophes naturelles sont liées à des processus vitaux pour la planète Terre et ses habitants. On n’a pas fini de comprendre les liens entre la dérive des plaques tectoniques et l’apparition de nouvelles espèces dans l’histoire, ni l’influence bénéfique des volcans sur l’atmosphère terrestre, par exemple1. Quand nous croyons en un Dieu créateur nous voyons toutes les merveilles et les terreurs de la nature en même temps dans notre cœur. C’est dans notre cœur que nous sommes capables de tenir à la fois l’émerveillement devant la beauté du monde et l’affliction de voir nos frères tués, menacés ou malades. La création est un don de Dieu, un don d’amour, et c’est par le cœur qu’on peut l’accueillir vraiment. Les raisonnements sont utiles, tant sur l’origine du monde que sur la question du mal, mais ils ne peuvent pas être le dernier mot, sinon ils échouent dans le scepticisme, voire le cynisme. Le cœur doit venir à la rescousse, un cœur qui s’émerveille et prend compassion. Et en ces jours je fais le vœu que notre cœur soit prompt à secourir tous ceux qui souffrent des forces naturelles ou des fausses notes de la nature. Ce sera notre façon de porter du fruit, car c’est maintenant le moment favorable, c’est aujourd’hui le jour du salut, comme nous avons entendu le premier jour du carême.
Et je voudrais vous dire encore : si nous portons du fruit ce n’est pas parce que le jardinier nous aura dit : vas-tu porter du fruit, espèce de figuier paresseux ! Mais parce qu’il aura bêché et mis du fumier au pied du figuier. C’est Dieu qui donne à nos vies de porter du fruit, et il faut le lui demander : Seigneur, donne-moi de renoncer à tel péché et de porter du fruit dans ma vie ! Vous verrez, ça marche fort, ce genre de prière ; il faut juste oser...
1 On peut trouver de la documentation sur le sujet à propos de la Rift Valley ou sommairement en page 2 de cette étude comparative avec Mars. Un article de fond sur l’atmosphère terreste se trouve ici.