Voici le témoignage d’un homme, d’un saint, qui a vécu une période où il ne croyait plus (où, précisera-t-il, il n’avait plus le sentiment de la foi). Vincent Lebbe, missionnaire en Chine au début du XX°siècle, raconte à un ami en proie au doute comment il a retrouvé la foi.

Ta lettre a bien voyagé pour me trouver. Mes déplacements de tous les jours ont été cause de son retard. Je te réponds de suite, à la volée. Je sais sans que tu me le dises jusqu’à quel point tu es sincère ; et puis, te le dirai-je ?... parce que j’ai passé par là aussi... (...)

Il y a de cela, je crois, sept ans. Cela a duré autant que je me rappelle cinq à six mois. Les causes ? Je ne crois pas non plus qu’elles fussent morales quoiqu’on ne sait jamais... mais les lectures y étaient pour beaucoup. J’avais emporté de mes lectures d’Europe surtout, un virus de « modernisme ». (Je prends le mot dans le sens péjoratif et spécial que lui a donné Pie X pour préciser une tendance des doctrines condamnées) qui m’a été un trouble de plusieurs années et a fini, mal éclairé, par la perte de la foi — du seul bien réel que j’ai jamais éprouvé sur terre. Mes doutes ? Ils valaient ni plus ni moins que les tiens, mais allant jusqu’au bout je ne croyais plus à Dieu non plus (...). Ils se résumaient surtout à des impressions, à cette même crainte que tu me dis être la tienne, de vivre à son insu dans un amas de « convenu » — de voir le monde vrai à travers les vitres de couleur d’une éducation spéciale.

La fin ? Voici qui t’intéresse davantage, qui me console en songeant à toi et qui est plus que curieux. Je m’étais fixé comme règle de conduite :
1. d’abord de ne rien laisser paraître, admettant que je faisais certainement un bien moral aux Chinois que j’aime, en les élevant à la plus grande hauteur du christianisme (comme toi) ;
2. de ne rien supprimer même en particulier de ce que j’avais considéré comme mes devoirs envers Dieu : me disant que s’il existe il acceptait ce sacrifice et me délivrerait du mal de l’erreur — que sinon je ne commettais pas un acte immoral en ce faisant d’autant que je n’avais pas plus de certitude négative que positive — qu’ainsi je n’étais pas hypocrite à l’égard de ceux que j’encourageais à faire de même (tout ceci comme toi) ;
3. de choisir toujours le plus pénible et le plus rude de la vie, de la besogne, n’ayant d’ailleurs plus aucun désir de vivre... et voulant me prouver davantage ma sincérité (que ce n’était pas pour le plaisir que je ne croyais pas).

C’est ainsi que je fus amené à accompagner un solide gaillard de missionnaire dans une des plus pénibles courses de ma vie pour évangéliser quelques très pauvres, et faillis périr de fatigue, de froid et de faim en ce jour et cette nuit... De retour chez le missionnaire, je m’assis harassé ; et lui qui l’était moins que moi voulut me lire un article du Correspondant qu’il trouvait pas mal (pas plus que ça) sur un sujet que je connaissais comme ma poche : le protestantisme en Allemagne.

Tandis qu’il lisait il me sembla que des écailles tombaient de dessus les yeux de mon âme, qu’une lumière intense, qu’une joie inouïe m’inondaient à flots... Je me mis à sangloter de bonheur, je crois bien que je tombai à genoux (tu devines l’étonnement de l’autre) — la foi m’était revenue comme jamais je ne l’avais eue depuis dix ans. Je ne croyais pas, je voyais et j’aimais avec l’intensité de l’amour sensible. Dieu m’a fait la grâce de ne plus me quitter depuis et je lui en suis reconnaissant à le crier aux montagnes. J’ai même eu une vraie lune (plusieurs) de miel où je nageais dans la joie de la vie, de l’amour, où j’aurais voulu avoir mille occasions de m’immoler à ce qui était redevenu, cent fois plus intense, l’idéal suprême.

Et voilà.

En deux mots les raisons qui m’avaient fait perdre la foi étaient, pesées sérieusement, insuffisantes... et ma raison le savait à ce moment même, et cependant j’étais dans la nuit la plus horrible qui se puisse imaginer. Les raisons qui me l’ont rendue étaient meilleures (je parle ici raison pure) mais elles n’apportaient rien de neuf à ce que je savais avant. C’est donc un autre élément qui était cause des deux phénomènes et c’est ce que nous voyons cent fois dans notre vie de missionnaire où c’est un axiome de dire que les raisonnements ne convertissent pratiquement personne.

Lis le beau livre de Newman là-dessus (Apologia pro vita sua — Le seul titre est en latin), il est dans toutes les librairies — et d’autres de cet homme si profondément homme. Il fut théoriquement convaincu de la vérité du catholicisme très longtemps avant que sa conscience lui permit d’y entrer — et c’était la sincérité en chair en en os. Pusey, son ami, sut tout ce que savait Newman, ne put y répondre et ne se convertit jamais. C’est aussi une très belle âme (...).

Alors me demanderas-tu, comment expliques-tu des cas comme le mien, comme le tien ? — Je crois que c’est le résultat d’une faute morale ou intellectuelle, ou une épreuve que Dieu envoie à ceux qu’il aime (c’est le cas pour toi, je pense bien), comme toute épreuve du reste, pour les purifier, et surtout leur faire sentir davantage la grandeur du bienfait de la foi pour l’avoir perdu un moment (...).

Un mot encore : tu me dis que depuis que tu ne crois plus (ne dis pas cela comme cela : dis que tu n’as pas le sentiment de la foi, c’est une forte nuance et elle te sera apaisante) tout te semble naturel, clair, etc... Peut-être, sur les points où portaient tes doutes. Mais combien d’autres qui étaient lumineux (et ils étaient bien importants ceux-là !) sont tombés dans l’ombre noire. Le sens de la vie, de la souffrance, de la mort. Des mots : conscience, devoir, vertu ; bref, dans tout ce qui nous distingue de la bête... Pas vrai ?

Je te bénis de ma bénédiction de prêtre... Je suis avec toi dans tes souffrances pour pouvoir me réjouir avec toi de la vie retrouvée. (...) Encore une fois c’est Dieu et sa grâce qui te rendront la paix. Car la foi est une grâce (ceci est même un article de foi). On ne croit pas en la religion révélée comme en une déduction mathématique : même psychologiquement parlant, ce sont des actes très différents. Prie donc, non seulement pas moins, mais plus que d’habitude.

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